mercredi 3 décembre 2014

Le parfait socialiste

03/12/14


A Paris pour le business -pour changer, la décentralisation ayant si bien fonctionné- je me suis attablé pour boire un verre avant de prendre mon train Gare de Lyon. Un mendiant rom, distribuant le journal des sans abri, m’a abordé pour me le vendre. Ayant poliment décliné son offre, il m’a alors demandé de lui payer un café. J’ai refusé tout aussi poliment, et il m’a immédiatement dit «  vous n’a pas de cœur, moi je tu respectes et toi vous  mé payé même pas lé café ». Et là, soudain, c’est l’illumination. Sans averto, oui oui comme ça madame, je le jure sur la tête de Mao, et même de Benoit Immonde..euh pardon Hamon, et là, dans une fulgurance proche de celle que peut saisir un agent RATP avachi sur son comptoir à la vue d’un usagé(r) en approche,  une limpide pensée de mon esprit a surgi : voilà le parfait socialiste.

Je ne le respecte pas, parce que je refuse de lui donner mon argent sans contrepartie. Benoîtement, idiotement, il me semblait qu’obliger quelqu’un à vous donner quelque chose sans contrepartie cela s’appelait du vol. Mais mon Rom, lui, n’a pas cessé pendant 2 minutes de m’invectiver, me faisant reproche d’un inénarrable manque de générosité. Son assurance tenait pour partie de l’argumentaire habituel destiné à faire « cracher » le bedeau, certes, mais je crois que l’aplomb et l’insistance avec laquelle il me tenait ce discours avait aussi une autre origine : la culture frâonçaise actuelle. 
Car dans un pays où une large partie de la population vit sur l’argent de la communauté sans jamais avoir à rendre de compte (irresponsabilité se disait monarchisme, cela se dit à présent enarchisme- pour plus ample renseignement sur cet étrange mouvement cf « Gestion du crédit Lyonnais »), sans pouvoir être licencié même si ce qu’elle fait ne sert plus à rien (cela s’appelle l’emploi à vie) voire est contreproductive (ce qui n’arrive jamais sauf avec les gardiens des 35H, les chambres de commerces, les associations de développement de cela, les agences de promotion de ceci, ou le simple fait de ne posséder que 36 000 communes, et des ministres du commerce extérieurs non anglophones…j’arrête la quasi infinie énumération de ces exceptions !). Bref, dans un pays comme celui-là, il est bien légitime pour la majorité vivant de l’argent généré par les travailleurs du monde concurrentiel, d’exiger leur dû sans contrepartie. Oui oui et oui, un tel système est à mes yeux d’odieux capitaliste, sans réfutation possible, une légalisation permanente et généralisée du vol dans toute sa splendeur.

Pour en finir avec mon social-rom, j’aurais pu choisir de lui faire l’aumône bien sûr, mais cela aurait été alors de mon propre choix, ce qui fait juste toute la différence avec sa tentative d’extorsion parfaitement alignée avec le système ci-dessus décrit. Je ne lui ai pas fait la charité pour deux raisons : d’abord il fait partie à coup quasi certain d’une mafia (je parle de celle qui est –encore- illégale), ensuite parce si ce n’est pas le cas, encourager à mendier un homme en bonne santé, et qui peut donc travailler, me paraît le plus mauvais des services à lui rendre.
Je sais, je sais, y’a pas d’boulot ma bonne dame, la faute à ces salauds de capitaliste, et pourtant : issu d’une famille désargentée, j’ai dû faire toute sorte de petits boulots pour avoir de quoi me payer ce que je souhaitais acquérir en dehors du gîte et du couvert. Et bien devinez quoi braves gens, accrochez vos ceintures, sanglez vos harnais, arrimez bien vos casques, ça va souffler. Même à 14 ans et sans diplômes, je n’ai jamais eu de mal à trouver un travail légalement rémunéré… 

Non décidément non, je n’ai pas de cœur, je suis un mauvais frâonçais, et pire encore, un vilain méchant non s-o-l-i-d-a-i-r-e. Et le pire, le pire du pire, je n’ose presque vous le dire...je n’ai même pas honte de moi.
J’ai pourtant pleinement conscience que cette inqualifiable posture me vaudra les flammes éternelles. Je me vois déjà, arpentant sans répits les cercles infernaux, enlacé dans les vapeurs d’une jamaïcaine de bonne qualité par une putain aussi magnifique que non soumise à cotisations, pouvant commercialiser d’odieux services qui abîmeront à jamais monopoles et corporatismes, bâtissant une demeure non soumise au diktat éclairé de ces hommes invisibles, qui constituent la secrète armée  de ma fière commune : les agents du services de l’urbanisme. Je roulerai dans la fange putride de mes fantasmes avec d’autres odieux adultes consentants....En vain je tendrai mes doigts crochus de capitaliste impénitent vers le paradis des camarades, qui là haut, bien haut, plus haut que haut, un instant me toiseront de leur mépris.

Puis, se donnant la main les uns aux autres dans une fanrandole perpétuelle, muette, dans une salle nue qui constitue l’unique pièce de leur monde fabuleux, ils détourneront leur saint regard du damné, ils reprendront leur place d’idoles figées dans l’insondable vacuité d’une danse sans musique. Peut-être alors me tendrais je vers eux, et dans un borborygnme implorant  leur dirais-je  «  vous n’a pas de cœur, moi je tu respectes et toi vous  mé payé même pas lé café ».

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